Pourquoi s’attarder au développement perceptivomoteur de l’enfant? Parce que non seulement il s’agit d’une dimension majeure du développement de l’enfant, mais aussi parce que le jeu libre, avec ou sans équipement, seul ou avec d’autres, peut fortement y contribuer. Ce terme implique l’interprétation et la réponse qu’un individu donne à un stimulus. À peu près tout ce que fait une personne peut être classé comme perceptivomoteur. Grâce à l’information venue de l’environnement, captée par les sens et traduite en expériences motrices, le développement perceptivomoteur progressif permettra l’organisation et le contrôle de ses mouvements.

Quelques notions de base

Favoriser le développement perceptivomoteur consiste à développer l’ensemble des facteurs responsables de la perception, de la prise de décision et du contrôle de la réponse dans l’exécution d’un geste moteur. En d’autres termes, il s’agit de développer les facteurs responsables de l’ajustement du corps, de l’espace et du temps, ces facteurs étant déterminants dans l’exécution juste d’un geste moteur. Il s’agit somme toute de l’interprétation et de la réponse qu’un individu donne à un stimulus.

Le développement perceptivomoteur est relié aux stades de développement qui surviennent selon une séquence régulière. L’enfant est d’abord capable de mouvements simples et peu complexes qui se complexifient progressivement. Le niveau de développement perceptivo-moteur et des facteurs qui s’y rattachent est étroitement relié au niveau de maturation des structures et des mécanismes du système nerveux central.

Le jeu libre stimule tous les sens de l’enfant, ce qui l’aide à intégrer toutes les propriétés de son corps et à se reconnaître dans son environnement. Graduellement, il en vient à être capable de fournir les réponses motrices appropriées aux divers stimulus, ce qui implique la mise en œuvre de mécanismes complexes de coordination.

S’orienter dans l’espace

Vers l’âge de quatre ans, en principe, il arrive à établir la distance de son corps avec les objets qui l’entourent, mais il a rarement la capacité d’établir des rapports justes entre son corps, les objets et les personnes en mouvement avant l’âge de huit ans. Plus l’enfant est jeune, plus il a besoin de temps pour se rendre compte de la position des objets et des autres personnes.

On suggère donc, pour les enfants de moins de huit ans, d’aménager des espaces où les repères visuels sont marqués : structures bien nettes, formes bien délimitées, contrastes de couleurs, etc. L’enfant pourra ainsi plus facilement avoir une idée de sa position en termes de relation spatiale. L’enfant doit aussi avoir suffisamment de temps et d’espace pour réagir suivant sa position.

Discrimination du mouvement et contrôle postural

La discrimination du mouvement est la capacité de détecter les différences ou les similitudes entre les objets, de déterminer leur emplacement, et d’estimer leur distance, leur poids, leur force, leur vitesse et leur accélération. L’Interprétation des stimulus captés par les différents sens procurant les données nécessaires pour que l’individu s’adapte à son environnement est généralement acquise vers l’âge de huit ans.

Les jeux ou structures de jeu qui comportent des éléments mobiles ou en mouvement peuvent être utiles aux enfants pour expérimenter les adaptations posturales pour maintenir leur équilibre et développer la discrimination kinesthésique pour leur utilisation.

L’association des processus visuels, vestibulaires (auditif) et proprioceptifs (sensibilité propre à l’ossature et la musculature qui permet l’équilibre et le déplacement) avec les processus moteurs s’avère cruciale dans le développement du contrôle postural.

Afin de maintenir une posture stable, l’organisme doit en effet non seulement détecter le moindre déséquilibre, mais également produire une activité motrice restaurant l’équilibre initial.

Discrimination auditive

La capacité de distinguer les sons dans l’environnement ne cesse de s’améliorer jusqu’à l’âge de 8-10 ans pour atteindre sa plénitude vers l’âge de 13 ans.

L’audition est importante pour donner des indices sur le déplacement des objets et des personnes.

Perception motrice

La perception motrice est la faculté de percevoir une variété de stimulus visuels et auditifs, et de traduire ces informations en activités motrices. Par exemple, se déplacer en évitant les obstacles, freiner, intercepter un objet en mouvement suppose d’établir des relations spatiotemporelles entre les objets extérieurs et ses propres membres.

Encore là, l’enfant agit selon son stade de développement. Plus il est jeune, plus il sera lent à réagir au stimulus perçu.

Pour favoriser le développement perceptivomoteur de l’enfant

Il est important d’offrir à l’enfant des défis lui permettant :

  • rester statique sur du matériel bâti ou naturel;
  • bouger dans différentes directions librement;
  • bouger différentes parties de son corps à son rythme;
  • bouger à différentes vitesses dans des espaces appropriés;
  • être à l’envers de temps en temps;
  • bouger de côté comme bon lui semble;
  • de se suspendre à des composantes fixes ou en mouvement;
  • grimper de plus en plus haut.

Quand les enfants fréquentent un parc, ils ont besoin de jouer dans des environnements stimulants et sécuritaires où ils pourront développer leurs aptitudes et habiletés. Ces besoins varient selon l’âge bien entendu, mais la Norme CAN/CSA Z614 sur les aires et équipements de jeu identifie deux grands groupes : la petite enfance, soit de 18 mois à 5 ans, et l’enfance-préadolescence, soit de 5 à 12 ans. Quel que soit l’âge cependant, il faut offrir des possibilités de jeu libre et spontané qui permettront aux enfants de mieux se développer sur tous les plans : physique, social, intellectuel et affectif.

Le développement au stade de la petite enfance (18 mois à 5 ans)

Sur les plans social et affectif, l’enfant :

  • a besoin d’un adulte pour l’accompagner;
  • passe du jeu parallèle (il joue à côté d’autres enfants, mais sans interaction) à l’apprentissage du partage avec les autres et, par la suite, à la coopération;
  • tente de nouveaux défis, parfois stimulé par le jeu des autres.

Sur le plan moteur, au stade du corps perçu, l’enfant :

  • s’exerce à déplacer et manipuler les objets de façon adaptée et avec compétence;
  • développe une bonne locomotion (marcher, courir, sauter, etc.), améliore ses activités de manipulation (lancer, attraper, donner des coups de pied, etc.) et ses activités non locomotrices (équilibre et se tenir debout sans bouger, etc.).

Sur le plan cognitif, l’enfant :

  • découvre ses capacités et ses limites;
  • découvre son environnement et élargit son champ de découverte.

Sur le plan du langage, l’enfant :

  • élargit son vocabulaire;
  • améliore son écoute;
  • développe ses compétences à la communication.

POUR RÉPONDRE À SES BESOINS DE JEU À CE STADE

Des aires de jeu appropriées pour répondre aux besoins des enfants de 18 mois à 5 ans devraient comprendre :

  • des endroits pour ramper, par exemple un tunnel;
  • des plates-formes basses pour sauter en bas;
  • des accès multiples tels que des rampes et des échelles faciles à utiliser, qui offrent aussi un défi;
  • des glissoires pour se laisser glisser à plat ventre ou assis et sortir facilement de l’équipement;
  • des tables basses ou des « carrés » profonds pour manipuler sable, eau et différents matériaux;
  • des sentiers pour courir, donner des repères et rouler.

Le développement au stade de l’enfance – préadolescence (5 à 12 ans)

Sur les plans social et affectif, l’enfant :

  • augmente sa capacité à s’engager dans des jeux collectifs et coopératifs;
  • commence à reconnaître ses compétences et celles des autres;
  • s’éloigne de l’adulte et devient plus responsable.

Sur le plan moteur, au stade du corps vécu (5 à 9 ans), l’enfant :

  • s’engage de plus en plus dans des jeux organisés;
  • a besoin d’activités qui exigent coordination et force motrice;
  • accentue le développement de sa coordination visuomotrice et de son équilibre en fonction de sa taille et son poids.

Sur le plan moteur, au stade du corps connu (9 à 12 ans), l’enfant :

  • a conscience de l’ensemble de son corps.

Sur le plan cognitif, l’enfant :

  • développe le concept d’espace, la logique, sa capacité de classification et son aptitude à la résolution de problèmes;
  • devient en mesure de représenter symboliquement des objets concrets;
  • peut élargir sa pensée abstraite et appliquer des connaissances dans le jeu libre, guidé ou structuré.

Sur le plan du langage, l’enfant :

  • peut exprimer clairement ses idées, participer aux discussions, suivre et donner des directives;
  • communique de plus en plus efficacement et apprend à influencer les autres.

Pour répondre à ses besoins de jeu à ce stade

Des aires de jeu appropriées pour répondre aux besoins des enfants de 5 à 12 ans devraient comprendre :

  • des structures de câble et des grimpeurs exigeants;
  • des barres horizontales et de l’équipement pour le haut du corps;
  • de l’équipement tournant sous différentes formes;
  • de l’équipement pour se balancer, pour se tenir en équilibre
  • des composantes de jeu exigeant coopération telles que des balançoires à axe multiple ou de l’équipement tournant pour utilisation en groupe;
  • des espaces ouverts pour courir, jouer au ballon et faire des activités avec leurs copains;
  • des tables pour se réunir, réfléchir, planifier et proposer ce à quoi on aimerait jouer ensemble.

En matière de sécurité, la principale difficulté pour les autorités publiques et les gestionnaires d’équipements de jeu ou de loisir, c’est de trouver le juste équilibre entre les restrictions nécessaires (ou même les interdictions) et la liberté des pratiquants. Chez les enfants en particulier, la surprotection prive les enfants de leur autonomie ou la réduit exagérément, ce qui les empêche de se développer de façon complète. Voici à ce sujet une réflexion de Sylvie Melsbach, directrice technique de l’Institut québécois de la sécurité dans les aires de jeu (IQSAJ).

Il incombe à tout adulte qui prend soin des enfants des autres de maintenir des interventions « démocratiques » permettant à chacun des enfants de vivre librement son corps et d’explorer à fond un environnement riche en expériences adaptées à ce qu’il est. J’en suis convaincue, c’est la seule voie à prendre pour permettre à tout enfant de se former, de devenir un être indépendant et autonome, de développer sa capacité à prendre soin de lui-même. Il est essentiel que l’enfant puisse prendre des risques, se lever et marcher sans vraiment savoir le faire habilement, grimper pour une première fois lentement, tâtonnant pour s’adapter au fur et à mesure qu’il découvre et explore.

Cela signifie-t-il qu’il faut abdiquer tout devoir de surveillance? Bien sûr que non. Mais comment peut-on surveiller sans interdire, restreindre ou empêcher? Il faut garder le regard sur l’enfant en mouvement, libre de toute contrainte, se faire le témoin de ses efforts, de sa ténacité à trouver, de ses hésitations et de ses maladresses sans interventions inutiles. Ce regard sera bienveillant et enveloppant, générateur de courage.

La difficulté principale, c’est de résister à faire faire, à dire comment faire ou à faire à la place. On peut soutenir par un sourire, une parole bienveillante, mais on doit laisser l’enfant maîtriser la situation « dangereuse » dans laquelle il s’est mis, et s’émerveiller sur sa façon de s’y prendre pour s’en sortir. Tout ça dans un environnement qui a été sécurisé mais qui doit offrir des défis.

LA SURPROTECTION

Les enfants d’aujourd’hui sont rarement laissés à eux-mêmes et ne peuvent plus aller jouer dehors seuls même quand ils sont en âge de le faire. L’époque est à la surprotection et à la crainte du risque. Or, la surprotection cache souvent un besoin d’adulte de s’autoprotéger pour ne pas avoir d’ennuis. Cette surprotection entraîne des limitations pour les enfants, qui ne peuvent plus alors se développer de façon optimale.

Les jeunes enfants, à mon avis, ont besoin d’adultes qui les encadrent et qui acceptent d’avoir peur pour eux, mais une peur maîtrisée qui rend juste vigilant et qui ne les empêche pas de prendre des risques pour relever leurs propres défis. En tant qu’adulte responsable d’enfants, il faut savoir vivre avec cette peur et l’accepter, c’est avec elle que l’on grandit et que l’on aide à grandir.

UNE PEUR INTELLIGENTE

Cette peur, qui porte tout autant sur la sécurité affective que sur la sécurité physique, doit devenir une peur respectable, pas une peur pour soi-même, mais une peur intelligente qui amène à être vigilant et à offrir un cadre équilibré qui assure la sécurité tout en autorisant (c’est le vrai sens du mot « autorité ») le difficile, l’exigeant et les défis.

Ce cadre est bien entendu un environnement, mais c’est aussi un code de conduites et de comportements qui se traduit dans un discours bienveillant mais ferme. L’adulte expliquera clairement et simplement les exigences. « Ici, tu ne peux pas sauter sur ta chaise ou monter sur la table, la chaise est faite pour s’asseoir, la table pour manger et travailler; là par contre, dans l’espace de jeu, tu peux sauter, te suspendre, glisser à plat ventre, et c’est seulement là que ça se passe. »

UNE LIBERTÉ À ENCADRER

L’enfant doit intérioriser ce qu’on lui dit de façon à savoir que ce qui est interdit ici peut être autorisé là. Il sait qu’il pourra bouger et jouer comme il veut dans certaines circonstances. Il s’agit pour l’adulte de lui indiquer un cadre d’action où il pourra exprimer sa liberté.

Les règles doivent toujours être expliquées. Et l’adulte doit être prêt à redéfinir ces règles avec l’enfant si elles ne conviennent plus ou ne sont pas adaptées, c’est le sens même de l’intervention démocratique.

Le risque zéro n’existe pas. Les enfants doivent apprendre des risques qu’ils prennent et nous devons les laisser prendre ces risques pour ne pas nuire à leur développement. Si notre peur devient handicapante pour les enfants, si l’angoisse que génère l’insécurité devient trop grande pour les autoriser à agir de leur plein gré, il vaut mieux renoncer à prendre la responsabilité de ces enfants, car elle deviendra un obstacle trop important pour leur épanouissement.

Novembre 2018