L’histoire des espaces de jeu publics pourrait se confondre avec l’histoire des parcs publics, mais elle a ses caractéristiques propres. En effet, il ne va pas de soi qu’un parc doit toujours offrir un espace de jeu pour les enfants, et bien des espaces de jeu ont pu être aménagés en d’autres lieux que les parcs[1]. Pour savoir comment on en est arrivé au concept d’espace de jeu tel qu’on l’entend aujourd’hui, voici un aperçu de l’évolution des espaces de jeu, autrefois appelés terrains de jeu.


[1] Dans un document intitulé Evolution of American Playgrounds (référence à la fin de cette fiche), on identifie plusieurs lieux susceptibles de servir d‘espaces de jeu extérieurs : parcs, cours d’école, nature sauvage, rues, toits, bateaux de croisière, terrains vagues, zoos, services de garde, etc.

L’idée d’offrir des espaces de jeu naturels pour le développement complet des enfants n’est pas nouvelle. On peut en attribuer la paternité au pédagogue allemand Friedrich Fröbel, le créateur des « jardins d’enfants » (1837). Influencé notamment par Jean-Jacques Rousseau, Fröbel voyait le jeu non seulement comme un moyen de développement physique et social des enfants, mais aussi comme un moyen de développement intégral. Il développa ainsi en 1887 le concept d’espace de jeu naturel pour le développement complet de l’enfant. Il disait : « Chaque ville devrait avoir son terrain de jeu. »

Plus tôt au 19e siècle, on avait développé, en Allemagne mais aussi aux États-Unis, l’idée de « gymnases extérieurs », principalement dans le but de favoriser le développement physique des jeunes hommes. On note le premier gymnase extérieur en 1821 à Salem, au Massachusetts. C’est aussi au 19e siècle qu’apparut le premier « jardin de sable » destiné aux enfants, à Berlin, en Allemagne. L’idée se propagea aussitôt aux États-Unis.

Le premier terrain de jeu municipal digne de ce nom fit son apparition aux États-Unis en 1876, à Washington Park, à Chicago.

À la fin du 19e siècle, l’aménagement de terrains de jeu répondait à un besoin social. En fait, la Révolution industrielle avait eu pour effet de peupler les rues des grandes villes d’enfants qui se livraient à toutes sortes d’activités plus ou moins désirables. Même que la Ville de New York interdit aux enfants de jouer dans les rues.

Au début du 20e siècle, plusieurs provinces canadiennes adoptèrent des lois sur le travail pour restreindre l’emploi des enfants. Par ailleurs, l’école obligatoire allait devenir de plus en plus la règle dans toutes les provinces canadiennes. Mais en dehors des heures d’école et s’ils ne pouvaient pas travailler, comment empêcher les enfants de traîner dans les rues?

Au Canada, les terrains de jeu sont donc nés principalement du besoin de les éloigner de la rue en les regroupant dans un même lieu. Ils furent d’abord un phénomène urbain, dont les premières initiatives furent prises à Montréal.

Fondée en 1902, la Ladie’s Parks and Playgrounds Association (LPPA) exerça des pressions sur les autorités de la Ville de Montréal pour l’aménagement de terrains de jeu dans les parcs montréalais. La Ville comptait déjà trois grands parcs à l’époque, soit le mont Royal, l’île Sainte-Hélène et le parc La Fontaine. En 1913, la LPPA tenta une première expérience d’encadrement des enfants dans deux parcs de Montréal.

En 1915, on note que le « Service des récréations publiques » de Montréal offre des jeux aux enfants, tels des balançoires, des bascules, des bacs de sable et des échelles, dans différents parcs de la ville.

Tout le mouvement en faveur des terrains de jeu pouvait alors être considéré comme anglo-saxon ou d’inspiration germanique. Il y avait aux États-Unis, dès 1906, une association nationale pour promouvoir la « pratique de jeux sains pour les enfants des villes ». La Playground Association of America deviendra en 1965 la National Recreation and Park Association. Au Canada, la préoccupation des terrains de jeu reste avant tout une affaire d’anglophones.

Il faudra attendre 1927 pour qu’une brèche importante s’ouvre en milieu canadien-français. Les jésuites créent à Montréal l’Œuvre des vacances, qui deviendra en 1944 l’Œuvre des terrains de jeu de Montréal (OTJM). L’Œuvre des vacances, qui a germé dans la paroisse de l’Immaculée-Conception, offre des activités de loisir aux enfants dans le parc La Fontaine, à proximité.

C’est cependant à Québec, en 1929, que la première véritable OTJ, l’Œuvre des terrains de jeu, va voir le jour. L’initiative en revient à l’abbé Arthur Ferland, qui crée un premier terrain de jeu au parc Victoria. La ville fournit les installations, mais c’est l’OTJ qui les administre et organise les activités, orientées vers la formation physique, intellectuelle et morale des enfants.

Ce modèle se répand dans toute la province, surtout à compter des années 1940, et subsistera jusqu’à la Révolution tranquille (années 1960), qui verra graduellement les municipalités prendre en charge les terrains de jeu dans les parcs.

En 1942, on trouvait au parc de Victoria de Québec « des balançoires à chaînes, à bascule et en bois, des bains de pieds, des piscines, des glissoires, des trapèzes, des jeux de ballon au panier », ainsi que des accessoires comme « des balles, des ballons, des cordes à danser, des pelles, des gants, des bâtons et des échasses[1]. »

En 1947, l’abbé Alfred Leblond « écrit le premier traité organisationnel complet concernant les terrains de jeu, qui deviendra un classique en la matière et qui sera utilisé à la grandeur du Québec [2]».

Durant cette période, qui a vu les parcs municipaux se garnir de divers appareils de jeu, les autorités municipales ont également construit des bâtiments de service (chalets), des pataugeuses et des « vespasiennes » (toilettes publiques).


[1] Dion, G., L’Œuvre des terrains de jeux de Québec, Les Éditions du Cap-Diamant, Québec, 1943, p. 10.
[2] Bellefleur, Michel, L’Église et le loisir au Québec avant la Révolution tranquille, Presses de l’Université du Québec, Québec, 1986, p. 62.

Le nombre d’espaces de jeu publics et de terrains sportifs n’a jamais cessé d’augmenter. Uniquement à Montréal, le nombre de terrains de jeu est passé de 8 en 1915 à 43 en 1931, puis à 117 en 1953. En 1974, on comptait au Québec 1475 terrains de jeu et plus de 3500 en 1992.

Les terrains de jeu, qu’on en viendra à appeler aires de jeu selon le contexte, se diversifièrent également, notamment avec la création des parcs-écoles dans les années 1950 et le développement des services de garde plus tard, à partir des années 1980-1990.

Depuis les premiers terrains de jeu aux États-Unis, l’équipement n’a cessé d’évoluer même si on a l’impression que, durant de longues périodes, le terrain de jeu typique au Québec avait toujours la même allure. Les fabricants, eux, ont constamment innové, au fil de l’évolution des découvertes scientifiques, des matériaux, des procédés de fabrication, des technologies et des recherches sur le développement de l’enfant. La demande exigeait aussi, dans certains cas, de fournir des appareils susceptibles de répondre à une multiplicité de besoins dans des espaces exigus, comme des petites cours de récréation ou de services de garde.

Aujourd’hui on reconnaît la valeur ludique des espaces publics pour les enfants. Les années 2000 ont permis d’envisager les parcs et autres espaces publics comme des lieux de répit pour les citoyens, offrant par ailleurs des aires de jeu sécuritaires où les enfants peuvent jouer librement et relever des défis stimulant leurs habiletés, leur agilité et leur force motrice. On sait maintenant que le terrain de jeu est plus qu’une aire de jeu.

Depuis quelques années, on considère également les parcs comme des endroits qui permettent aux gens de se réunir en famille et avec d’autres familles, qui incluent des terrains de jeu où se déroulent des événements communautaires et des activités sportives, et qui offrent toutes sortes de possibilités de sorties pour tous les âges.

Ces nouveaux parcs bien conçus et naturalisés permettent à tout un chacun d’éprouver un grand sentiment de liberté. Non seulement y a-t-il plus d’espace pour bouger, mais le corps a davantage le loisir de s’exprimer avec un minimum de contraintes. Dehors on peut crier, chanter, rouler, sauter et courir. Les adultes relâchent la pression, peuvent laisser plus de place aux impulsions des enfants qui font ce qu’ils font le mieux : jouer. Les adultes peuvent socialiser tout en tolérant cette activité souvent imprévisible et parfois étourdissante des enfants en mouvement.

Bellefleur, Michel, L’Église et le loisir au Québec avant la Révolution tranquille, Presses de l’Université du Québec, Québec, 1986.

Dion, Gérard, L’Œuvre des terrains de jeux de Québec, Les Éditions du Cap-Diamant, Québec, 1943.

Frost, Joe, Evolution of American Playgrounds, Scholarpedia, 2012; http://www.scholarpedia.org/article/Evolution_of_American_Playgrounds

L’Œuvre des terrains de jeux, L’Œuvre des tracts, Montréal, février 1936, no 200; http://collections.banq.qc.ca/bitstream/52327/2241144/1/75652.pdf

Rainwater, C.E., The Play Movement in the United States. A Study of Community Recreation, The University of Chicago Press, Chicago, 1922.

Novembre 2018